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I D’UN SEIGNEUR RUSSE. ’ 61

détachaient en jaune de dessous leurs feuilles anguleuses et poudreuses ; tout le long de la haie en houssines tressées se halançait une haute ortie aussi inutile et incommode qu’ambitieuse ; en deux ou trois endroits croissaient par groupes le chèvrefeuille, le sureau et le rosier commun, débris d’anciens massifs.- Près d’un petit vivier rempli d’une eau roussâtre et visqueuse, on apercevait, presque à fleur de terre, la margelle ravagée d’un puits tout entouré de flaques d’eau ; là les canards prenaient leurs ébats et s’en donnaient à cœurjoie ; un chien, qui tremblait de tout son corps et clignait de l’œil, rongeait un os, dans un espace envahi par les herbes parasites, où paissait paresseusement une vache au pelage y mi-parti de blanc et de rouge, qui de temps a autre promenait le panache de sa queue sur sa maigre échine. Nous

tournâmes à gauche, entre des bouleaux et de gros aubiers,

I et nous vîmes devant nous une vieille petite maison grise couverte en planches et précédée d’un auvent assez détérioré et déjà tout de travers. Radîlof s’arrêta. Au reste, écoutez, me dit-il avec, bonhomie et en me regardant bien droit en face, ·je viens de faire une ré- ’ flexion : peut-être vous plaît-il très-médiocrement de venir chez moi ; s’il en était ainsi.... »

Je ne le laissai pas achever sa phrase et lui assurai que tout au contraire il me serait très-agréable de dîner chez lui.,

Eh bien, c’est vous à présent qui l’aurez voulu. ·· · Nous entràmes. Un jeune garçon en long cafetan de gros drap bleu nous ouvrit., Radîlof lui ordonna de présenter tout de suite un bon verre d’eau-de-vie ea Ermolaï ; mon chasseur s’inclina respectueusement devant notre hôte, et s’établit sur le banc qui bordaitnintérieurement le large auvent.

De l’antichambre, dont les parois étaient couvertes d’estampes bigarrées et le plafond orné de deux cages, nous passâmes dans une chambrette qui servait de cabinet à M. Radîlof. Je me débarrassai de mes attributs de chasse, je mis mon fusil dans un coin, le jeune garçon m’épousseta avec zèle.