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D’UN SEIGNEUR RUSSE. 29

— A M. Zverkof ; à présent je suis bourgeoise, je suis ibre..

— N’étais-tu pas la femme de chambre de sa femme ? — Oui. Et comment savez-vous cela ? »

Je regardai Arina avec beaucoup plus de curiosité et d’iuiëfét.

Je connais ton ancien maître.

—Ah ! vous.... le connaissez ? »répondit-elle à demi-voix, et elle resta stupééè.

Il faut bien à présent que je dise à mon lecteur pourquoi pe regardais Arina avec un si grand intérêt. Du temps que i’étais à Pétersbourg, un hasard fit que j’eus quelques re-. lations avec M. Zverkof. Il occupait un emploi assez considérable, passait pour un homme habile et rompu aux affaires. Il avait une femme bouffie, sentimentale, pleurnicheuse et méchante ; une créature très-ordinaire, très-lourde. Ce couple avait un fils, un vrai petit seigneur capricieux et infa— · tué de sa personne. Les dehors de M. Zverkof disposaient peu n sa faveur. Une figure large, presque carrée, percée de deux etits yeux de souris fort clairs, un nez long, effi lé, terminé. ar deux larges narines ; une chevelure grise à la titus et faiant brosse sur un front plissé ; des lèvres minces et mobiles,

t un sourire composé, tel est l’aspect sous lequel s’offrait tout

d’abord M. Zverkof’. Il se tenait ordinairement les jambes très-ouvertes, et ses grosses mains dans ses poches. Un jour il m’arriva d’a1ler avec lui en voiture à la maison de campagne d’une connaissance qui nous était commune, et, chemin faisant, nous liàmes conversation. En sa qualité d’homme expértet sagace, il se mit à parler sans nul à-propos, comme s’il eût cru nécessaire de m’enseigner la bonne voie ;, Permettez-moi, · disait<il, de vous faire observer que vous autres de la jeune génération, vous dissertez sur toutes choses à tort et à travers. Il faudrait étudier d’abord votre patrie ; la Russie, mes beaux messieurs, est encore pour vous lettre close, et-vous ne cessez de lire, des livres étrangers. Je prends pour exemple les gens de service dont nous sommes entourés : vous disiez.... bon.... je ne conteste pas ; mais, vous ne les connaissez pas, les gens ; je veux