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IV.


Et un jour d’automne clair, un peu froid, ouvert par une piquante gelée blanche, quand le bouleau, arbre vraiment féerique, se dessine élégamment avec ses teintes d’or sur un ciel d’un bleu tendre, quand le soleil est trop bas, trop oblique désormais pour réchauffer, et brille cependant plus vivement qu’en été, qu’un petit bois de tremble resplendit d’outre en outre et semble se réjouir de se trouver tout nu, que la gelée blanchit encore au fond des vallées et qu’un vent frais agite doucement et chasse devant lui les feuilles enroulées tombées des arbres, quand sur la rivière ondulent gaiement des vagues bleues, portant à la surface les oies et les canards dispersés, que, dans le lointain, le moulin bat à coups mesurés entre les marceaux aux feuilles rondes, et qu’au-dessus, à peine distincts sur le fond de l’air imprégné de lumière, tourbillonnent rapidement les pigeons de toutes couleurs, dites, n’est-ce pas aussi une belle journée ?

Ils ont bien aussi leurs beautés les jours d’été brumeux, quoique les chasseurs les goûtent fort peu. En de pareils jours, nul moyen de chasser ; l’oiseau part de dessous vos pieds et disparaît à l’instant dans les blanches ténèbres du brouillard immobile. Mais comme tout est paisible et ineffablement calme à l’entour ! Tout est réveillé dans le ciel et tout se tait. Vous passez près d’un arbre, il n’a pas un grêle rameau qui remue ; il est au repos dans sa force. À travers une subtile vapeur répandue avec égalité dans l’air, une longue zone noire se présente à vos yeux ; vous la prenez pour une forêt peu distante du lieu où vous êtes, vous approchez… la forêt se change en une haute ligne d’absinthe qui en croissant d’elle-même a formé la haie d’une limite. Brouillard au-dessus, brouillard autour de vous, brouillard partout.

Voilà que le vent s’élève insensiblement ; un coin du ciel, d’un bleu pâle, ressort peu à peu à travers la brume qui, en cet endroit se raréfie et prend l’apparence d’une légère vapeur ; là un rayon de soleil, jaune comme l’or, pénètre tout