qu’il bravait, par les effluves magnétiques du vif et enthousiaste intérêt avec lequel nous le suivions de nos vœux dans ses mélodieuses évolutions.
Chaque son qui jaillissait de ses lèvres avait quelque chose de natif, de salubre pour nous, d’ample et d’ineffablement doux, comme la brise de nos steppes parcourant l’espace en tout sens et prodiguant les molles caresses de son haleine. Je sentais les larmes se former dans mou cœur, s’y agiter et monter, monter, pour se faire jour sous mes paupières.
Mon ouïe fut frappée de quelques sanglots étouffés… c’était la femme du cabaretier qui pleurait, la poitrine appuyée à l’accoudoir de la fenêtre pratiquée dans la cloison. Iakof jeta sur elle un rapide coup d’œil, et son chant n’en fut que plus sonore, plus chaud et plus ému. Nikolaï Ivanytch était pantelant sous le charme ; Morgatch avait l’œil au plafond noirâtre ; Obaldouï, attendri et stupéfié, restait bouche béante ; le paysan sanglotait bien doucement dans notre angle avec un léger balancement de tête destiné à bercer et adoucir son émotion, et sur le visage de fer du Dîkï-Bârine, sous deux longs sourcils pendants qui s’étaient soudés au milieu du front, apparaissaient deux énormes larmes prêtes à se résoudre en ruisseaux ; le rival de Jacques avait le poing énergiquement serré contre son front, et ne faisait pas le moindre mouvement…
Haletants sous le poids de ces sensations, je ne sais à quelle explosion aurait abouti cette émotion générale, arrivée à son dernier paroxysme, si Iakof n’eût tout à coup fini par un son aigu, d’une finesse, d’une hardiesse et d’une pureté extraordinaires, comme si le ciel lui eût à jamais retiré du gosier sa voix d’ange au moyen d’un fil d’or, visible à l’œil jusqu’à la hauteur des nues. Personne ne cria, personne ne bougea ; il semblait qu’on attendît vaguement, à son retour des cieux, cette voix ravie, exhalée tout à ]’heure… Mais Iakof avait rouvert les yeux : il semblait surpris de ce silence extatique ; son regard nous en demandait la cause ; il ne tarda pas à la comprendre : la victoire lui était due, elle lui fut dévolue.