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D’UN SEIGNEUR RUSSE. 215

- Un moment ! un moment ! dit à ce jeune homme Mardari Apollonovitch, sans làcher ma main, ne t’avise pas de sortir ; j’ai ordonné qu’on te présentât de l’eau-de-vie. — Je n’en bois pas, murmura avec inquiétude le jeune ecclésiastique en rougissant jusqu’aux oreilles. — Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie ? allons donc ! répondit Mardari Apollonovitch. Hé ! Michka ! Eouchlra ! de l’eau-de-vie, et lestement, au bon père ! »· Eouchka, un grand et maigre septuagénaire, entra aussitôt, portant un verre à madère rempli d’eau-de-vie sur un plateau où je crus distinguer une scène de nymphes au bain, peinture dont il ne restait à peu près intactes que quelques parties excessivement charnues.

Le prêtre insistait pour ne point boire. Bois, mon père, bois ; allons, pas de contorsions, chez moi, vois-tu, ce n’est pas reçu ! » dit le gentilhomme d’un ton de ·doux et sincère reproche. Le pauvre jeune homme obéit.

Eh bien, à préssnt, mon père, tu peux t’en aller. » ’ L’ecclésiastique le remercia de sa bienveillance par des inclinations de tête.

C’est bon, c’est bon, va. Charmant homme, je vous assure, me dit Mardari Apollonovitch en suivant de l’œil le prêtre qui se retirait ; je suis très-content de lui, sauf qu’il est.... jeune encore. Ah çà, vous, cher voisin, vous, vous, vous, comment cela-va-t-il’ ?... Allons sur le balcon.... hein ! quelle belle soirée ! »

La soirée était tout ce qu’on peut imaginer de plus beau. On nous servit le thé. ’

Dites-moi, je vous prie, Mardari Apollonovitch, ces chaumières relguées là-bas sur la route, derrière le ravin, est-ce que c’est à vous ?

— Eh ! oui ; quoi donc ?

— A vous, sans plaisanterie ? Eh bien ! Mardari Apollonovitch, je ne l’aurais pas deviné ; mais c’est un péché que vous avez sur la conscience et que je sais de vous maintenant. Des cases étroites, misérables, détestables, et pas un arbre autour, pas un buisson ! pas même un vivier, une