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tendre s’appeler vieux cavaldriste, tandis que les vrais vieillards, on le sait bien, ne jouent jamais avec le mot de vieux quand il s’agit de leurs personnes. Il porte habituelle men un surtout qu’il boutonne jusqu’au menton, une haute cravate d’où ressort un col em’pesé, et un pantalon gris qui a jt ne sais quelle ombre de coupe militaire ; il met son chapeau horizontalement, ce qui lui donne l’air crâne. Au fond, c’es1 un homme très-bon, mais il a des idées et des habitudes assez étranges ; par exemple, il lui est impossible de traite : les nobles sans fortune et sans rang ou sans emploi comme gens valant autant que lui. S’il leur adresse la parole, il les regarde obliquement en appuyant fortement l’une de ses joues contre son col empesé et roide ; ou bien il les prend devant lui à deux mains, les tient silencieusement fixés sous son regard écarquillé, fait remonter en bourrelets toute la peau de son front sous la lisière de ses cheveux, et, s’il parle, abrége les mots et les prononce autrement, en déiziguran surtout à plaisir les noms propres. Avec les gens placég dans les rangs inférieurs de la société, il se conduit d’une" façon bien autrement cavalière ; il ne les regarde pas du tout, et, avant de leur expliquer ce qu’il attend d’eux ou de leur donner un ordre formel, plusieurs fois il leur dit d’un air affairé, distrait et ennuyé.: « Comment t’appelle-on ? hé !... Comment, diantre, t’appelle-t-on ?... » en appuyant beaucoup sur le premier mot et en mâchonnant tous les autres, ce qui donne à sa voix, en pareil cas, un petit air de parenté avec le cri du mâle de la caille. Il est grand faiseur d’embarras, interlocuteur fâcheux s’il en fut, et mauvais administrateur de sa fortune ; il a pris pour régisseur un Petit-Russien’, qui par extraordinaire se trouve être un sot et un ancien maréchal-des-logis. Au reste, en fait d’économie rurale, personne dans nos cantons n’est de la force d’un grand fonctionnaire de Saint-Pétersbourgqui, voyant d’après les rapports de son intendant que les granges de ses domaines étaient souvent la proie du feu, 1. Les Petits-Russiens ont dans la grande Russie la réputation d’avoir · beaucoup d’esprit, et surtout Pesorit des affaires.