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D’UN SEIGNEUR RUSSE. 3

chien Astronome, quoique je n’aie jamais remarqué que l’animal s’occupât des étoiles ; il disait stapendant pour cependant, et avait déplorablement introduit chez lui la cuisine française, dont tout le secret, au dire de son cuisinier qui me l’a révélé, consistait à changer du tout au tout le goût particulier de chaque aliment. Ainsi, ses viandes avaient un goût de poisson, son poisson un goût de morilles, ses macaroni sentaient la poudre à canon. Il ne tombait jamais dans les potages de cet artiste une carotte ou un navet qui n’eût la forme d’un rhombe ou d’un trapèze. A part donc ces légers travers, M. Poloutykine était un homme d’un bon et sur commerce.

Dès le jour même de notre première rencontre, M. Poloutykine m’invita à venir passer la nuit chez lui sans façon.

Il y a d’ici chez moi, ajouta-t-il, environ cinq verstes’, faire tout ce chemin à pied nous fatiguerait trop ; nous passerons chez Khor. •

— Qu’est-ce que ce Khor ?

— Eh mais, un de mes paysans. Il demeure tout près d’iCi. ~•,

Nous nous rendîmes donc chez Khor, qui demeurait en plein bois, dans un assez grand espace nivelé, séché et cultivé, où s’élevait une bonne maison rustique en bois de sapin avec les dépendances, cours, hangars, étables, puits, etc. La maison d’habitation avait devant elle un long perron couvert soutenu par quatre minces piliers. Nous fûmes reçus à Yentrée par un beau grand gaillard de vingt ans. Ah ! c’est toi, Fédia ! dit le maître ; Khor est à la maison ?.

— Non ; Khor est allé avec sa charrette à la ville, répondit le gars en souriant et en nous découvrant une rangée de dents blanches comme la neige. Voulez-vous que j’attelle la télejka ’ ’ ?

— Oui, mais d’abord donne nous du kvass ’. » I. La verste russe équivaut à. peu près à notre kilomètre. 2. Chariot découvert et non suspendu. · 3. Boissonvulgaire des Russes, aigrelette et rafraîchissante. I’