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i68. IEIOIRES ’

Arcadi Pavlytch était heureux ; il m’exposa en français les avantages du système de Fobroc (des redevances), et il se mit à donner’des conseils au bourmistre sur la manière de planter la pomme de terre, sur la préparation du breuvage des bestiaux, etc. Sophron écoutait avec attention et parfois se permettait des objections, car il n’employait plus les louanges adoratives de la veille, et en revenait toujours dire que le terrain faisait faute et qu’il en faudrait acheter. Eh bien, répondait à cela Arcadi Pavlytch, réunissez vos moyens et achetez des champs.... sous mon nom, je ne m’y oppose pas. ·• C’étaientlà des paroles auxquelles Sophron ne répondait qu’en fermant silencieusement les yeux et en se caressant la barbe. «(}à, me dit M. Péenotchkine, il faudrait aller au bois. » On nous amena des chevaux de selle, et nous fûmes bientôt plongés dans les profondeurs d’épais fourrés remplis de gibier, ce qui fit qu’Arcadi-Pavlytch remercia So- u phron et lui frappa de petits coups affectueux sur l’épaule. M. Péenotchkine, à l’égard de la sylviculture, s’en tenait aux. idées russes ; il me raconta même un trait qui lui semblait fort plaisant, d’un gentilhomme campagnard et facétieux, qui, ( pour bien faire comprendre à son garde forestier qu’il n’est point vrai que plus on ôte plus il repousse, lui avait arraché d’un coup presque la moitié de la barbe.

Au reste, je dois dire qu’en d’autres choses Arcadi Pavlytch et Sophron n’avaient ni l’un ni l’autre de parti pris contre les innovations. A notre retour au village, le bourmistre nous mena voir un moulin à vanner récemment importé de Moscou. Ce van fonctionna facilement sous nos yeux ; cependant, n si Sophron eût pu prévoir le désagrément qui l’attendait en. cet endroit, lui et son maître, il nous eût certainement privés de ce dernier spectacle.

Voici ce qui arriva à notre sortie du hangar où était la machine. Aquelques pas de la porte, près d’une mare où naviguaient et s’ébattaient quelques canards, se tenaient « deux paysans, l’un, vieillard septuagénaire, l’autre, garçon de vingt ans, tous deux en chemises faites de pièces et de morceaux, tous deux ayant une corde pour ceinture et les pieds nus. L’édile local Fédocéitch se donnait un grand mouveC