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V D’UN SEIGNEUR RUSSE. 161

qui portait le cuisinier fut renversé, et l’une des grandes roues lui foula l’estomac. Arcadi Pavlytch, voyant cette cruelle chute du Vatel né, nourri et formé sous son toit, s’effraya grandement, et fit à l’instant demander si les bras et les mains étaient intacts ; ce ne fut qu’après avoir reçu à cet égard une réponse affirmative, qu’il reprit complètement le calme et la sérénité dont il n’aimait pas à se départir. Les chevaux étaient bons, et pourtant nous cheminions lentement. Tétais assis dans la calèche d’Arcadi Pavlytch, qui se. plaît à ne montrer de hâte en aucune occasion ; à la fin du trajet, j’avoue que j’étais en proie à l’ennui, d’autant plus que, depuis quelques heures, mon interlocuteur était en veine de confidences dont je n’avais que faire, et qu’il commençait à se poser en ami des libertés publiques. Enfin nous. arrivâmes, non pourtant à Reabovo, où je voulais aller, mais en plein Ghipilovka. C’est bien en effet ce qui devait arriver ; il était trop tard pour que je songeasse sérieusement à chasser ce jour-là ; aussi je me résignai et fis à mauvais jeu bonne mine.

Le cuisinier nous avait précédés de quelques minutes ; je crus remarquer qu’il avait déjà fait des dispositions, et surtout averti celui qui avait le plus d’intérêt à être prévenu. A la barrière même du village, nous vîmes venir à nous le staroste (l’a1wien ou sénieur), fils du bourmistre ou bailli, paysan vigoureux et roux, haut de six pieds, à cheval et sans chapeau, vêtu de son meilleur armiak dégrafé et hallant. Et où est Sophron ? » demanda Arcadi Pavlytch. L’ancien, avant tout, s’élança à bas de sa monture, s’inclina très-bas et marmotta :

Salut, père, seigneur Arcadi Pavlytch. » Puis il releva la tète.en agitant ses cheveux pour les remettre à iil droit, et dit que Sophron était à Pérof, mais qu’on était déjà parti pour le ramener promptement.

Eh bien ! passe derrière la calèche et suis-nous. ¤ L’ancien mena, par convenance, son cheval à dix pas de nous sur le bord du chemin, remonta et se mit à trottiner derrière nous, le bonnet à la main. Nous fîmes notre entrée dans le village. Nous rencontrâmes quelques moujiks reveizo k