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périorité, lorsque, transporté devant cette nature nouvelle, il semble la contempler du sein même de la civilisation à laquelle il appartient par son intelligence ; et la manière dont il nous la rend tout aussitôt sensible vient de ce qu’il nous communique lui-même sa faculté compréhensive.

Parmi les chapitres d’où ressort le mieux cette pénétration} on distinguera celui des superstitions populaires. Quoi dei plus neuf et de plus charmant que cette veillée passée près du taboun de chevaux sauvages, en compagnie des jeunes enfants qui les gardent, dont les paroles nous révèlent toute cette partie de l’âme et de la pensée populaire, pendant quel l’auteur assiste à cet entretien sans s’y mêler, et, par cette attitude, nous rend en quelque sorte visible le procédé littéraire qu’il emploie ? Dans le Nain Kaciaruz, c’est encore, l’homme supérieur dont la civilisation a éclairé la pensée, ouvert l’intelligence, rectifié et agrandi le regard, comme pour lui rendre perceptible ce qui lui échapperait sans cela et lui seul pourra surprendre cette végétation spontanée de la poésie germant dans la solitude sous la forme la plus bizarre, sous l’image qui lui semble la plus opposée. Elle se retrouvera également, mais avec plus de splendeur encore, dans ce merveilleux poëme du Cabaret et des chanteurs, où) éclate l’intention de relever la dignité de l’homme sous les dégradations qui la déguisent et l’avilissent fatalement. Les préparations de l’auteur peuvent paraître un peu longues à notre impatience française ; mais ces détails minutieux, employés a faire ressortir les difformités physiques, la vulgarité, le prosaïsme des individus qu’il appelle à former l’auditoire, et les juges de cette lutte du chant, concourent à l’effet qu’elle devra produire. Aussi ils s’expliquent bientôt par cette merveilleuse explosion de l’âme que le sentiment musical élève et transfigure en la dépouillant de cette enveloppe d’abjection