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D’UN SEIGNEUR RUSSE. 121

temps là, assise sans mouvement, regardant, écoutant, sans voir, sans entendre personne.... seulement il lui semblait qu’un chien aboyait, hurlait étrangement quelque part comme au fond d’une cave... Enfin, un petitgarçon en chemise pass par le sentier ; elle le voit, et, en le suivant bien de’l’œil, elle reconnaît que c’est le petit de Fédoci. A — Le petit Ivan ? celui qui est mort au printemps ? — Lui-même. Ce qui fait qu’elle ne l’avait pas d’abord reconnu, c’est qu’il marchait la tête basse.... mais elle l’a bien reconnu avant qu’il fût passé. Quelque temps après l’enfant, il passe lentement une baba’. Ouliane la reconnaît tout de suite, je veux dire se reconnaît ; c’était elle-même, elle, Ouliane, qui traversait la route.

=- Quoi ! c’était elle-même qui passait là-bas, et elle-même qui s’est vue ? dit Fédia.

— Eh oui, elle-même, quoi !,

— Eh bien, mais elle n’est pas encore morte. — C’est que l’année n’est pas passée. Viens demain à notre village et regarde-la bien ; l’âme ne lui tient plus au corps. » Là-dessus les enfants firent silence. Paul jeta une poignée de bois sec sur le brasier ; les branches, en tombant, firent élever des myriades d’étincelles ; elles noircirent, se tordî.rent, craquèrent, émirent des jets de fumée grisâtre, relevèrent leurs extrémités en becs de gaz allumés qui s’agrandirent et se mêlèrent en prenant des teintes fortes, et une Hamme générale s’éleva, lançant plus haut une grande lueur rousse frémissante et mêlée ¢1étincelles folâtres. Une colombe vola, on ne sait d’oü, juste à la crête de cette grande lueur, dont elle Bt le tour à trois reprises, et aussitôt s’en éloigna avec de grands battement d’ailes.

Voilà, dit Paul, une colombe égarée loin de chez elle ; elle va maintenant voler un peu partout, jusqu’à ce qu’elle, ait trouvé un endroit sur pour la nuit, afin d’y attendre l’aurore.

— Mais, dis-moi, Paul.... ne serait-ce pas, dit Kostia, l’àme d’un juste partie pour gagnerle ciel, hein" !, A, |.Femmedevillage. , t· ;