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I Mo Miâuomus «

parler, dis, voyons, dis pourquoi tu pleures. —· La roussalka lui répondit : « Il ne fallait pas, petit homme, il ne fallait pas toucher à ta croix ; tu aurais vécu avec moi dans la joie, jusqu’à la fin de tout ; mais je pleure et je vais bien sout’· frir ; je ne souffrirai pas seule, tu souffriras aussi, toi, jus qu’à la fin des temps. » Et Gavrîlo la vit s’affaisser, se dissoudre, s’évanouir.... et Gavrîlo comprit dans le même instant comment il pouvait sortir du bois ; en vingt pas il était à la lisière.... Depuis cette nuit-là, il n’a plus eu aucun plaisir à vivre. ’

—Maudite roussalka ! dit Fédia après une minute de réflexion silencieuse ; mais comment se peut-il qu’une pareille vermine gâte ainsi une âme de chrétien ? car enfin, il ne lui a pas obéi ; il a tenu bon.

- C’est égal~ ; d’ailleurs, c’est comme ça, répondit Kostia... et Gavrîlo dit que la voix de la roussalka était grêle, lamentable comme celle du crapaud.

- Ce sont tes parents eux-mêmes, vraiment, qui ont raconté tout cela ? dit Fédia.

- Mais oui, et j’étais couché sur la soupente ; je n’en ai pas perdu un mot.

— C’est singulier. Qu’est-ce qu’il a donc pour languir à présent ? Est-ce qu’elle l’a touché ? Il plaisait à cette maudite, puisqu’elle l’appelait. ’ ·

— Oui, il lui avait plu !... Comment donc ! elle voulait le chatouiller ; voilà ce qu’elle voulait ; c’est affaire aux roussalkis, cela.

— Mais ici même il doit y avoir des roussalkis ? dit Fédia. ’ — Non ; répondit Kostia ; ici, c’est un endroit découvert, un lieu pur... et premièrement voici la rivière. · Tous réfléchirent en silence. Tout à coup, dans le lointain, retentit comme un long cri de plainte et d’angoisse, un de ces sons de la nuit, de ces bruits indéfinissables et inconcevables qui naissent au sein même du silence, s’élèvent, s’arrêtent quelque part dans l’air, et s’en vont à’la fin comme en mourant. Vous écoutez ; il semble qu’il n’y ait rien, et pourtant c’est un son qui vous a frappé. Cette fois, c’était comme si de là-bas, ·là-bas, à l’horizon, quelqu’un en effet eût crié ;