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D’UN SEIGNEUR RUSSE. It)7

étendait sur la plaine ; au delà, uneimorne obscurité afiluait le minute en minute, et se pelotonnait en grandes masses mouvantes. Mon pas retentissait sourdement dans l’atmosphère refroidie et condensée. Au ciel blafard de tout à l’heure, uccéda peu àpeu l’azur ordinaire de la nuit ; et les étoiles n scintillant s’y firent jour les unes après-Ies autres selon eur distance.

Ce que j’avais pris pour un bocage était un mamelon. Mais, mon Dieu, où suis-je donc ? » répétai-je. Je m’arrêtai rour la troisième fois et je regardai interrogativement ma liane, qui était une chienne anglaise blonde, le plus spirituel certainement de tous les quadrupèdes.·J’avouerai cependant ue le plus intelligent des quadrupèdes, tout en remuant la pucue et en jouant des paupières sous mon regard, ne sut me lonner aucun bon avis sur la conjoncture. J’eus la conscience, noi, homme, que je n’en savais pas davantage, etje me lanai désespérément en avant, tout à fait comme si j’eusse enfin leviné où il fallait aller. Je tournai le tertre et je me

  • rouvai dans une vallée étroite où, çà et là, avait passé la

zharrue. Un étrange sentiment s’empara aussitôt de moi : ette vallée avait presque l’aspect régulier d’une chaudière lvasée par le haut ; au fond se dressaient comme posés àdesiein d’énormes blocs de pierres blanches ; on eût vraiment lit qu’elles étaient là rangées comme pour les conciliabules l’êtres mystérieux. En effet, tout était silencieux et morne lans cette gorge ; le ciel qui la dominait était si plat et si mélancolique que j’en avais le cœur oppressé. Un faible souffle le vent bruissait plaintivement entre les blocs : Je me hàtai le sortir de cette espèce d’impasse et me mis à gravir une iauteur sur laquelle je me tournai et retournai en tous sens, lusqu’à ce moment, je n’avais pas perdu l’espoir de trouver un chemin qui me ramenât chez moi ; mais là je reconnus pleinement que j’étais égaré, et n’essayant plus le moins du monde de reconnaître des lieux qui, du reste, étaient tout à fait plongés dans les ténèbres, je marchai au hasard, sans plus rien regarder que-la situation des étoiles. Je cheminai ainsi tout un bon quart d’heure, et je ne dirai pas sans soupirer de fatigue ; il me semblait n’avoir jamais vu de’Iieux ’ 4