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lesque, la bizarrerie excentrique des manières n’empêche pas la noblesse des caractères de se produire avec éclat, · et le sentiment poétique de colorer vivement une nature crue et inculte. C’est que l’auteur est ramené par elle au sentiment qui le domine partout, qui fait que, sans qu’il s’en aperçoive, ceux même des nobles qu’il traite avec le, plus d’indulgence sont encore dans une infériorité morale à l’égard des serfs avec lesquels il les met en rapport ; à ce goût enfin des esprits supérieurs, qui les porte à préférerai la simplicité native des mœurs rustiques aux ridicules affec-1 tés des autres classes et aux vices d’emprunt d’une demi-civilisation.

Sans doute l’auteur nous fait partager cette préférence par les vives et attrayantes inspirations qu’il doit à son sentiment de chasseur et d’amant de la nature, mais elle contribue à faire paraître mesquine et sans distinction cette partie de la société que l’imitation rapproche de la nôtre et qui tend à se confondre partout dans un type banal et de plus en plus généralisé. Plusieurs de ces esquisses en petit nombre se rapportent au tableau de genre ou à l’anecdote privée, avec des détails qui n’ont rien d’exclusivement spécial à la Russie ; mais si le modèle s’en retrouve ailleurs, elles regagnent par la pensée ou le talent de l’écrivain ce qui leur manque au fond en originalité : soit que dans le Médecin de district il se propose, par une observation curieuse qui semble avoir échappé à tous les autres moralistes, d’expliquer une touchante énigme du cœur de la femme, soit qu’il se borne à offrir une délicate peinture d’une situation souvent traitée, y comme dans la charmante idylle des Amours de village. Ceux même de ces tableaux qui reproduisent des rapports analogues à ce qu’on trouve dans les autres pays gardent encore des y traits de singularité locale et de particularité russe, comme l’état de gentilhomme commensal décrit dans Radîlof, ce type