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98 MÉMOIRES

moi, qu’est-ce que ça me faisait ? je parlais tout de suite et je disais. Un jour j’ai représenté un aveugle.... comment donc ! oui, monsieur, un aveugle.

— Ensuite, qu’as-tu été ?

— Ensuite ? ah ! ensuite, j’ai encore été cuisinier. — Pourquoi donc encore cuisinier ?

— Eh ! un frère à moi s’était enfui’. — Bien. Et chez le père de ta première maîtresse, qu’étais-tu ? E

— Chez le père ? chez le père, j’ai été, voyez-vous, toutes sortes de choses : d’abord j’ai été petit kazac, je me tenais p debout contre une porte ; puis postillon, nous n’allions qu’à quatre chevaux, je montais sur une haute selle le cheval de gauche de la paire de devant ; mais on m’a fait veneur et.... — Veneur ? à cheval ? avecdes chiens ’ ! — Oui, aussi a cheval et avec des chiens ; mais je suis tombé de cheval, je me suis estropié et la bête aussi a été estropiée. Le vieux bàrine était très-sévère ; il m’a fait rosi ser, et j’ai été envoyé à Moscou en apprentissage choz un hottier.

— En apprentissage ! qu’est-ce que tu dis ? tu n’étais plus un enfant lorsqu’on t’a fait veneur ou valet de meute. — Eh ! j’avais bien comme vingt ans. — En apprentissage à vingt ans !

- Eh ! ça ne fait rien, ça se pouvait, puisque le maître l’avait ordonné ; mais comme il est mort peu après, on me fit revenir au village.

— Et quand est-ce donc que tu as fait ton apprentissage comme cuisinier ?.

— Tiens ! est-ce’qu’on a besoin d’apprendre ça ’ ! on fait cuisiner les femmes donc, et on goùte, c’est toul, dit Soutchok en relevant son visage maigre etjaunâtre, ou le rire voulut en vain se faire jour.

—Allons, allons, repris-je, tu as fait bien des figures en ta vie ; mais à présent que tu es pêcheur, que fais-tu donc, puisqu’il n’y a pas de poisson ?

— Eh ! je ne me plains pas, je rends grâces à Dieu de ce qu’on m’a fait pêcheur. comme ils disent ; mais il y a un