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tions il donne constamment le beau rôle à la classe opprimée. C’est de là que sortent les caractères intéressants, et autant il est sympathique pour elle, autant il frappe sans pitié ces personnages, types grossiers d’une aristocratie rustique et mal dégrossie, chez qui le ridicule se mêle à l’odieux, quand il ne va pas quelquefois jusqu’à l’atroce. Aussi nulle part il ne déploie avec plus de verve toute la vigueur et l’énergie de sa manière que quand il se trouve devant ces originalités indigènes, ces médailles historiques déjà effacées et frustes du passé de la Russie. Quoi de plus curieux sous ce rapport que le portrait du velmoge, cet être exceptionnel qui ne pouvait exister que dans les conditions de l’ancienne société russe, avec cette frénésie de caprices et de prodigalités fastueuses, cette insanité bestiale qui résultait pour l’esprit de la satisfaction continue de ces désirs illimités, telles que les font revivre pour nous les chapitres de l’odn0*v01·ets et de l’Eau de framboise ? Remarquons comme dans ce dernier, avec une intention toute philosophique et un art consommé, l’auteur met ici en contraste l’homme de néant atteignant au dernier degré de l’échelle descendante, en face de cette concentration monstrueuse de tous les avantages sociaux accumulés chez celui qui en abuse. Dans l’odnovorets, en moutrant curieusement les progrès des classes intermédiaires, et ceux même de la nouvelle génération aristocratique, qu’il met en regard de cette barbarie native des anciennes mœurs, le peintre, dans sa sincérité, ira, pour mieux la flétrir, jusqu’à frapper sur sa propre famille, s’il vient par hasard a la retrouver dans laqvie de son père. On sent en effet que 1 le reproche s’adresse moins aux hommes qu’à leur temps, y rendu ainsi responsable de leurs écarts et des vices qu’ils lui doivent, et il y a même des cas où cette barbarie devient intéressante et humaine à force de naïveté. Ainsi, dans l’admirable chapitre des Stepniaks, la grossièreté, le bur-