sante, et il passa également à l’avenir de la Russie. Bambaéf aussi crut de son devoir d’y toucher, et dépeignit cet avenir avec les couleurs de l’arc-en-ciel ; la musique russe excitait particulièrement son enthousiasme ; il voyait en elle quelque chose de « grandiose, » et, pour le prouver, il attaqua une romance de Varlamof, mais il fut immédiatement interrompu par la remarque générale que c’était le Miserere du Trovatore, qu’il chantait abominablement. À la faveur du bruit, un petit officier déblatéra contre la littérature russe, un autre déclama quelques vers de l’Étincelle[1]. Titus Bindasof fut encore plus franc : il déclara qu’il fallait casser les dents à tous les fripons, et basta ! sans déterminer d’ailleurs quels étaient ces fripons. La fumée des cigares devint intense ; tous étaient accablés, égosillés, avaient les yeux appesantis et le visage inondé de sueur. On apporta des bouteilles de bière frappée qui furent vidées en un clin d’œil. « Où en étais-je ? » disait l’un, « Avec qui donc est-ce que je discute ? » demandait l’autre. « Et sur quel sujet ? » Au milieu de ce vacarme, Goubaref circulait toujours en se caressant la barbe : tantôt il prêtait un moment l’oreille à ce qui se disait, tantôt il lançait un mot en passant, tous sentaient qu’il n’était pas seulement là le maître de céans, mais encore le premier personnage.
À dix heures, Litvinof fut pris d’un violent mal de tête et s’échappa sans être aperçu, à la faveur
- ↑ Journal satirique de Saint-Pétersbourg.