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cravache et ramassa son chapeau ; elle le remit sans relever ses cheveux et reprit sa course en criant : Hip ! hip !

Sanine galopait à côté de Maria Nicolaevna ; avec elle il sautait les fossés, les haies, les ruisseaux ; il montait et descendait, gravissant la montagne, redescendant le versant opposé, et tout le temps il gardait les yeux attachés sur le visage de sa compagne.

Quel éclat ! tout ce visage s’épanouissait : les yeux se dilataient, avides, clairs, sauvages ; les lèvres s’ouvraient, les narines palpitaient et humaient l’air avidement. Maria Nicolaevna regardait droit devant elle, embrassant tout l’horizon du regard, son âme semblait s’emparer de tout ce qu’elle voyait, prenait possession de la terre, du ciel, du soleil et même de l’air ; elle n’avait qu’un regret : pourquoi rencontrait-elle si peu d’obstacles, elle voudrait vaincre encore, encore…

— Sanine, cria-t-elle… c’est tout à fait comme dans la Lénore de Burger ; seulement vous n’êtes pas mort ? N’est-ce pas, vous n’êtes pas mort ? Moi, je suis bien vivante…

Ce n’était plus une amazone qui galopait,