Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Bon Dieu ! dit-elle, il faut avouer que vous avez toujours d’étranges pensées ! Natalie n’est encore qu’une enfant ; et puis, d’ailleurs, sa mère n’est-elle pas là ?

— Daria est avant tout une égoïste qui ne vit que pour elle-même. D’un autre côté, elle est si pleine de confiance dans l’intelligente éducation qu’elle donne à ses enfants, qu’il ne lui viendrait pas à l’esprit de s’inquiéter d’eux. Fi donc ! quelle crainte pourrait-elle avoir ? Un seul signe, un seul regard majestueux ne lui suffirait-il pas pour tout remettre dans l’ordre ? Voilà ce que pense cette femme, qui s’imagine être une Mécène, une personne sensée et Dieu sait quoi encore, et qui n’est en réalité qu’une vieille folle mondaine. Quant à Natalie, ce n’est plus une enfant, croyez-le bien ; elle réfléchit plus souvent et plus profondément que vous et moi réunis ensemble. Faut-il qu’une nature aussi honnête, sincèrement tendre et passionnée, tombe dans les piéges d’un pareil acteur, d’un pareil fat ? Au reste, c’est dans la nature des choses.

— Un fat ! vous le traitez de fat, lui !

— Certainement, lui… Eh bien, je vous le demande à vous-même, Alexandra Pawlowna, quel est son rôle chez Daria Michaëlowna ? Être l’idole, l’oracle de la maison, se mêler de toutes les affaires, des caquets et des plus infimes niaiseries de la famille… Ne voilà-t-il pas un rôle bien digne d’un homme !

Alexandra jeta un regard étonné à Lejnieff.