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de Roudine, puis tout à coup elle joignit ses mains et fondit en larmes.

Pourquoi pleurait-elle ? Dieu seul le sait, car elle-même ne savait pas pourquoi ses larmes coulaient avec tant d’abondance. Elle les essuyait, mais les pleurs recommençaient à jaillir de ses yeux, comme l’eau d’une source qu’un obstacle a longtemps retenue.

Alexandra avait eu ce jour-là même une longue conversation avec Lejnieff à propos de Roudine. Lejnieff avait commencé par se tenir sur la réserve ; mais son interlocutrice, quoi qu’il fît, était résolue à en arriver à ses fins.

— Je vois que Roudine vous déplaît toujours autant, dit-elle. Jusqu’à présent, je me suis abstenue de vous questionner sur lui, mais vous avez eu le temps de vous assurer s’il était ou non changé, et je voudrais bien que vous me disiez aujourd’hui pourquoi il ne vous plaît pas davantage.

— Volontiers, puisque vous semblez perdre patience, répondit Lejnieff avec son flegme habituel ; seulement, réfléchissez à ce que vous demandez, et, quelle que soit ma réponse, ne vous fâchez pas.

— Eh bien ! commencez, commencez.

— Vous me laisserez aller jusqu’au bout ?

— Sans doute ; mais commencez donc !

— Voyons ! dit Lejnieff en se laissant lentement tomber sur le divan. — Je vous disais en effet que Roudine ne me plaît pas. C’est un homme d’esprit.

— Je le crois bien !