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avait passé toute une matinée à discuter avec Bassistoff sur les questions les plus graves, les plus sérieuses ; mais dès qu’il avait vu son interlocuteur plongé dans un naïf enthousiasme, il l’avait laissé de côté.

Ce n’était apparemment qu’en paroles qu’il recherchait les âmes jeunes et dévouées. Lejnieff avait commencé à fréquenter le salon de Daria, mais Roudine n’entrait même pas en discussion avec lui, et semblait l’éviter. Lejnieff, de son côté, gardait une extrême réserve avec son ancien ami et n’exprimait pas encore d’opinion définitive sur son compte, ce qui troublait beaucoup Alexandra Pawlowna. Elle s’humiliait devant Roudine, mais elle avait foi en Lejnieff. Chacun, chez Daria Michaëlowna, cédait aux caprices de Roudine, ses moindres désirs s’accomplissaient, et lui seul décidait de l’emploi de la journée. On n’organisait pas une partie de plaisir sans son assentiment. Il n’était pas, du reste, grand amateur des excursions et des projets improvisés ; il n’y prenait part qu’avec cette bienveillance de bon goût et légèrement ennuyée qu’une personne raisonnable apporte aux jeux des enfants. En revanche il se mêlait de tout, discutait avec Daria sur l’administration des terres, sur l’éducation des enfants, sur le ménage, sur toutes les affaires en général. Il écoutait ses projets d’avenir, ne se fatiguait même pas des minuties, et proposait des changements et des innovations.

Daria s’extasiait, à la vérité, en paroles ; mais c’était là tout. Pour ce qui regardait la maison, elle s’en te-