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lin, les étudiants s’habillent comme tout le monde.

— Racontez-nous quelque chose de votre vie d’étudiant, demanda Alexandra Pawlowna.

Roudine commença son récit. Il n’eut pas beaucoup de succès. Ses descriptions manquaient de couleur. Il n’avait pas le don de faire rire. Il abandonna bientôt le récit de ses aventures à l’étranger pour des réflexions générales sur le but de la civilisation et de la science, sur les universités et sur la vie universitaire en général. Il esquissa un vaste tableau en traits larges et énergiques. Tous l’écoutaient avec l’attention la plus profonde. Il parlait en maître, d’une manière irrésistible, et pourtant il manquait parfois de clarté. Mais ce vague même ajoutait encore au charme particulier de sa parole. La trop grande richesse des idées semblait empêcher Roudine de s’exprimer avec exactitude et précision. Les images succédaient aux images, les comparaisons naissaient les unes des autres, tantôt pleines d’une hardiesse inattendue, tantôt empreintes d’une vérité saisissante. Son improvisation impatiente était toute d’inspiration et ne rappelait jamais la subtilité satisfaite d’un bavard exercé. Il ne cherchait pas ses expressions. Les mots lui venaient d’eux-mêmes sur les lèvres, libres et obéissants, et on aurait dit que chacun d’eux s’exhalait droit de son cœur tout brûlant encore de tout le feu de sa conviction. Roudine possédait au plus haut degré ce qu’on pourrait nommer la musique de l’éloquence. Il lui suffisait