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mauvais que les autres. Que voulez-vous ? l’habitude est prise.

— Je vous comprends et je sympathise avec vous, répondit Roudine. Quelle est l’âme noble et pure qui n’a éprouvé la soif de l’humilité vis-à-vis de soi-même ? Mais on ne saurait s’arrêter à cette situation sans issue.

— Je vous remercie humblement pour le certificat de noblesse que vous octroyez à mon âme, répondit Pigassoff, mais je ne me plains pas de ma situation ; elle n’est pas mauvaise. J’y connaîtrais une issue que je ne sais vraiment si j’en userais.

— Mais cela s’appelle, — pardonnez-moi l’expression, — préférer la satisfaction de son amour-propre au désir d’être et de vivre dans la vérité.

— Je le crois bien, s’écria Pigassoff ; l’amour-propre, — je comprends ce mot-là, et vous le comprenez, j’espère, et aussi tout le monde. Quant à la vérité, où est-elle ?

— Vous vous répétez, je vous en avertis, remarqua Daria Michaëlowna.

Pigassoff haussa les épaules. — Je demande où est la vérité. Les philosophes eux-mêmes ne le savent pas. Kant dit : la voilà ; mais Hegel répond : non, tu radotes ; la voici.

— Vous savez donc ce qu’en dit Hegel ? demanda Roudine sans lever les yeux.

— Je répète, continua Pigassoff en s’échauffant, que je ne puis comprendre ce qu’est la vérité. Selon moi,