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pas à l’utilité des dissertations générales, vous ne croyez pas à la conviction…

— Je ne crois pas, non, je ne crois pas. Je ne crois à rien.

— Très-bien, vous êtes alors un sceptique.

— Je ne vois pas la nécessité d’employer un mot aussi savant. Du reste…

— N’interrompez pas ! s’écria Daria.

— Kizz, kizz, kizz ! se disait en ce moment Pandalewski avec une vive satisfaction.

— Ce mot exprime ma pensée, continua Roudine. Vous le comprenez : pourquoi ne pas s’en servir ? Vous ne croyez à rien. Pourquoi alors croyez-vous aux faits ?

— Comment, pourquoi ? voilà qui est charmant ! Les faits sont des choses connues, chacun sait ce que sont ces faits… Je les juge d’après l’expérience, d’après mon propre sentiment.

— Oui, mais votre sentiment ne peut-il porter à faux ? Ne vous dit-il pas que le soleil tourne autour de la terre ? Mais peut-être n’êtes-vous pas d’accord avec Copernic ? Peut-être ne croyez-vous pas en lui ?

Un sourire glissa de nouveau sur tous les visages, et tous les yeux se fixèrent sur Roudine. « C’est un homme d’esprit », se disait chacun.

— Vous avez le don de tourner tout en plaisanterie, dit Pigassoff ; c’est certainement très-original, mais cela n’avance guère les choses.

— Je regrette qu’il n’y ait eu que trop peu d’origi-