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d’une incurable douleur, je connais ce calme d’un malheur irréparable. Les masques passaient devant nous, la musique confuse d’une valse résonnait tantôt dans l’éloignement et tantôt plus près avec des explosions soudaines. Cette joyeuse musique me remplissait de tristesse. – Est-il vraiment possible, pensai-je, que cette femme soit la même que celle qui m’est autrefois apparue à la fenêtre de cette lointaine petite maison de campagne dans tout l’éclat de sa triomphale beauté ?… Et cependant le temps ne semblait pas l’avoir effleurée de son aile. Le bas de sa figure, que la dentelle du masque ne cachait point, était d’une fraîcheur presque enfantine ; mais il émanait de toute sa personne comme le froid d’une statue… Galatée était-elle remontée sur son piédestal pour n’en plus jamais descendre ?

Tout à coup elle se redressa, regarda dans l’autre salle, et se leva.

– Donnez-moi la main, me dit-elle. Venez vite, vite !

Nous retournâmes dans la salle. Elle s’arrêta près d’une colonne.

– Attendons ici, murmura-t-elle.

– Vous cherchez quelqu’un ? allais-je lui dire… Mais elle ne faisait plus attention à moi. Son regard fixe semblait percer la foule. Ses grands yeux noirs lançaient sous son masque de velours de sombres regards de haine et de menace. Je compris tout en me retournant. Dans une galerie formée par une rangée de colonnes devant le mur, marchait l’homme que j’avais rencontré avec elle dans le bois. Je le reconnus tout de