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– Je vous disais tout à l’heure, continuai-je avec chaleur, que je savais tout : cela n’est pas vrai. Je ne sais rien, absolument rien ; je ne sais ni qui vous êtes, ni qui il est, et si j’ai pu vous surprendre par ce que je vous ai dit, il y a un instant, auprès de la colonne, ne l’attribuez qu’au seul hasard, à un hasard étrange, inexplicable, qui, pareil à une manie, me poussa deux fois, et presque de la même façon, vers vous, me fit le spectateur involontaire de ce que vous auriez voulu peut-être garder secret.

Alors je lui racontai tout, sans détours et sans lui cacher la moindre chose : mes rencontres avec elle à Sorrente, puis en Russie, mes questions inutiles à Michaïlovskoë, et même ma conversation à Moscou avec Mme Chlikof et sa sœur.

– Maintenant vous savez tout, ajoutai-je en terminant mon récit. Je ne veux pas vous dire quelle profonde et quelle puissante impression vous avez produite sur moi. Vous voir et ne pas être ensorcelé par vous est impossible. D’un autre côté, je n’ai pas besoin de vous décrire quelle était cette impression. Rappelez-vous dans quelle situation je vous ai vue deux fois… Croyez-le, je ne suis pas homme à m’abandonner à de vaines espérances ; mais songez à l’agitation inexprimable qui s’est emparée de moi aujourd’hui, et pardonnez-moi, pardonnez la ruse maladroite à laquelle j’ai eu recours pour attirer votre attention, ne fût-ce que pour un moment.