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– Je le connais, repris-je.

Elle me regarda avec incrédulité, voulut dire quelque chose et baissa les yeux.

– Vous l’attendiez à Sorrente, continuai-je, vous l’avez vu à Michaïlovskoë, vous vous êtes promenée à cheval avec lui… Vous voyez que je sais…, que je sais tout.

– Il me semble que je connais votre figure, dit-elle.

– Non, vous ne m’avez jamais vu.

– Alors que me voulez-vous ?

– Vous voyez que je sais…, répétai-je. Je comprenais bien qu’il fallait profiter de cet excellent début, et, bien que ma phrase : « Je sais tout, vous voyez que je sais… » devînt ridicule, mon agitation était si grande, cette rencontre inattendue me troublait à tel point, j’étais si éperdu, que décidément je ne trouvais rien à dire de mieux, d’autant plus que je n’en savais pas davantage. Je sentais que je devenais stupide, et que si j’avais dû lui paraître d’abord une créature mystérieuse et instruite de tout, je me transformais rapidement en une espèce de fat imbécile… Mais qu’y faire ?

– Oui, je sais tout, répétai-je encore une fois.

Elle me regarda, se leva subitement, et voulut s’éloigner ; mais c’eût été par trop cruel. Je lui saisis la main.

– Pour l’amour de Dieu, lui dis-je, asseyez-vous, écoutez-moi. Elle réfléchit et s’assit.