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trente pas qui nous séparait, malgré le léger nuage qui obscurcissait la lune. C’était elle, mon inconnue de Sorrente ; mais elle ne me tendit pas comme autrefois ses bras nus. Elle les tenait doucement croisés, et s’appuyant sur le rebord de la fenêtre, silencieuse et immobile, elle regarda dans le jardin. Une large robe blanche la drapait comme autrefois. Elle me parut un peu plus forte qu’à Sorrente. Tout en elle respirait l’assurance et le calme de l’amour, le triomphe de la beauté qui se repose dans le bonheur. Elle demeura longtemps immobile, puis elle regarda en arrière dans la chambre, et, se redressant subitement, cria trois fois d’une voix vibrante et sonore : Addio ! Ces sons charmants retentirent au loin, bien loin ; ils vibrèrent longtemps et allèrent en s’affaiblissant mourir sous les tilleuls du jardin et dans les champs, auprès de moi et partout. Pendant quelques instants, tout ce qui m’entourait fut pénétré de cette voix de femme ; toutes choses frémirent en réponse et semblèrent imprégnées de ces accents. Elle ferma la fenêtre, et au bout d’un instant la maison redevint obscure.

Dès que je revins à moi, ce qui, je l’avoue, demanda quelque temps, je me dirigeai promptement le long du mur du jardin, je m’approchai de la porte fermée, et me mis à regarder par-dessus l’enclos. Rien d’inusité ne se faisait remarquer dans la cour ; mais une calèche était dans un coin sous un auvent. L’avant-train était couvert d’une boue sèche qui