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La nuit était venue, une nuit magnifique, méridionale, non pas calme et tristement pensive comme les nuits de Russie, mais tout étincelante, voluptueuse et belle comme une femme heureuse dans la fleur de ses années. La lune répandait une lumière puissante ; de grandes étoiles scintillantes ruisselaient sur un ciel bleu foncé ; des ombres noires tranchaient vivement sur la lumière jaunâtre qui inondait la terre. Les murs en pierre des jardins s’élevaient de chaque côté de la rue ; les orangers les dépassaient de leurs branches inclinées ; tantôt on distinguait à peine les globes d’or des fruits lourds que recouvraient les feuilles pressées, tantôt on les voyait s’étaler fastueusement aux rayons de la lune. Les fleurs blanchissaient mollement sur beaucoup d’arbres ; l’air était tout imprégné de parfums pénétrants, un peu lourds, et pourtant d’une douceur ineffable. Je marchais, et je dois avouer que, m’étant déjà habitué à toutes ces splendeurs, je ne pensais qu’à regagner mon hôtel au plus vite, lorsque tout à coup une voix de femme retentit dans un de ces petits pavillons bâtis contre le mur d’enclos le long duquel je passais. Cette femme chantait une romance qui m’était inconnue ; mais il y avait dans sa voix quelque chose de si attrayant, elle s’accordait si bien avec l’attente passionnée et joyeuse exprimée par les paroles du chant, que je m’arrêtai involontairement en relevant la tête. Le pavillon avait deux fenêtres, mais les jalousies étaient baissées, et à travers les fentes étroites s’échappait à peine une pâle