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lumière. De jeunes pommiers s’élevaient par intervalles sur le terrain uni ; à travers les branches menues, on voyait se déverser sur l’azur endormi du ciel la tranquille lueur de la lune. Une ombre faible et inégale s’étendait sur l’herbe blanchâtre au pied de chaque pommier. Les tilleuls verdoyaient confusément d’un seul côté du jardin, inondés d’une lumière pâle et immobile ; de l’autre côté, ils étaient noirs et opaques. Un murmure étrange et contenu s’élevait de temps à autre des feuilles touffues ; on eût dit qu’elles voulaient appeler les passants, les attirer sous leurs ombrages. Tout le ciel était parsemé d’étoiles, qui semblaient regarder attentivement la terre lointaine. De petits nuages fins passaient par moments sur la lune, et transformaient pour un instant son éclat paisible en une vapeur translucide. Tout sommeillait. L’air tiède et embaumé n’était agité par aucune brise, mais frissonnait parfois comme une nappe d’eau troublée par la chute d’une branche. On y sentait quelque chose d’altéré. Je m’étais penché sur la palissade : devant moi, un pavot rouge élevait sa tige droite dans l’herbe épaisse ; une grosse goutte de rosée nocturne brillait d’un sombre éclat au fond de la fleur épanouie. Tout sommeillait, tout s’assoupissait mollement autour de moi ; toutes choses paraissaient aspirer vers le ciel, se dilater, s’immobiliser et attendre.

Qu’attendait donc cette nuit chaude et non endormie ?

Elle attendait un son, ce calme attentif attendait