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J’appris seulement que l’habitation appartenait à la petite-fille de son ancien seigneur. Cette dame était veuve, elle avait une sœur plus jeune ; toutes deux demeuraient dans une ville étrangère et ne visitaient jamais leur propriété. Quant à lui, enfin, il souhaitait voir arriver le terme de sa carrière, « car, disait-il, mâcher, toujours mâcher son pain, cela devient triste et ennuyeux, surtout quand on le mâche depuis longtemps. »

Je m’étais une fois attardé dans les champs par un temps des plus favorables à la chasse. Les dernières traces du jour avaient disparu, la lune brillait toute grande, et la nuit s’était depuis longtemps établie, comme on le dit, dans le ciel, lorsque je m’approchai de l’habitation. Je devais passer le long du jardin : un grand silence régnait tout alentour. Je traversai une large route, me glissai prudemment au milieu des orties poudreuses, et m’appuyai contre une palissade peu élevée. Devant moi s’étendait le petit jardin immobile, tout éclairé et comme assoupi sous les rayons argentés de la lune, tout parfumé, tout humide. Dessiné dans le goût du temps passé, il ne formait qu’un seul carré. De petits sentiers droits se rejoignaient dans le centre même, et venaient aboutir à un parterre rond tout couvert d’asters enfouis dans une herbe épaisse. De hauts tilleuls entouraient le jardin d’une bordure uniforme ; cette bordure était interrompue en un seul endroit par une éclaircie de cinq à six archines qui laissait voir la moitié d’une maison basse, et deux fenêtres où je fus fort étonné de voir de la