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Ils sortirent de la tonnelle et s’enfoncèrent de nouveau dans le bois. Je ne sais combien de temps je restai sans bouger de ma place, plongé dans une espèce de torpeur stupide ; mais le bruit des pas se fit encore entendre. Je me remis à les observer. Besmionkof et Lise revenaient par le même sentier. Ils étaient fort agités tous les deux, Besmionkof surtout. Lise s’arrêta et prononça distinctement les paroles suivantes : « J’y consens, Besmionkof. Je n’aurais pas accepté, si vous aviez seulement voulu me sauver et m’enlever à ma situation pénible ; mais vous m’aimez, vous savez tout, et vous m’aimez. Je ne trouverai jamais un ami plus sûr et plus fidèle ; je serai votre femme. »

Besmionkof lui baisa la main. Elle lui sourit tristement et rentra chez elle. Besmionkof se jeta dans le taillis, et moi… je rentrai chez moi. Ainsi donc Besmionkof avait dit à Lise justement ce que j’aurais voulu lui dire, et Lise lui avait répondu justement ce que j’aurais voulu qu’elle me répondît ; je n’avais plus à m’inquiéter de rien. Lise l’épousa au bout de quinze jours. Les vieux Ojoguine étaient enchantés… et ils avaient raison de l’être.

Eh bien ! dites-le maintenant, ne suis-je pas un homme superflu, un homme de trop ? N’ai-je pas joué dans toute cette histoire le rôle d’un homme de trop ? Quelle stupide cinquième roue de carrosse !… Ah ! c’est amer, bien amer !… Oui, mais comme disent les gens qui traînent les lourds bateaux sur le Volga, encore un coup, un seul petit coup de collier, encore un