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– Parlez, parlez, interrompit Besmionkof ; quelle idée est-ce là ! Que Dieu vous bénisse ! Elle lui serra la main.

– Vous êtes bien bon, Besmionkof, poursuivit-elle ; vous êtes bon comme un ange ! Que puis-je faire ? Je sens que je l’aimerai jusqu’au tombeau. Je lui ai pardonné, je lui serai reconnaissante. Que Dieu lui accorde toute félicité ! que Dieu lui donne une femme selon son cœur !

Les yeux de Lise se remplissaient de larmes.

– Pourvu qu’il ne m’oublie pas, pourvu qu’il se souvienne quelquefois de sa Lise !… Sortons d’ici, ajouta-t-elle après un moment de silence.

Besmionkof porta la main de Lise à ses lèvres.

– Je sais, reprit-elle avec chaleur, que tout le monde m’accuse à présent, que tout le monde me jette la pierre. Soit. Je n’échangerais pourtant pas mon infortune contre leur bonheur… Non ! non !… Il ne m’a pas aimée longtemps, mais il m’a aimée ! Il ne m’a jamais trompée, il ne m’a jamais dit que je serais sa femme ; moi-même je n’y ai jamais songé. Mon pauvre père seul avait de l’espoir. Et à l’heure qu’il est, je puis me dire que je ne suis pas encore tout à fait malheureuse ; il me reste le souvenir, et quelles que soient les terribles suites… J’étouffe ici… C’est ici que je l’ai vu pour la dernière fois… Retournons en plein air.

Ils s’étaient levés. J’eus à peine le temps de me jeter à l’écart et de me cacher derrière un gros tilleul.