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en fondant en larmes. Les vieux Ojoguine perdirent toute contenance ; je leur tendis mes deux mains, poussai un soupir, levai les yeux au ciel et m’enfuis…

Ma faiblesse est trop grande, mon temps trop limité, pour que je puisse décrire avec les mêmes détails la nouvelle phase de pénibles considérations, de fermes desseins et d’autres aménités que fit naître la lutte intérieure à laquelle je fus livré dès la reprise de mes rapports avec les Ojoguine. Je savais, à n’en pas douter, que Lise aimait toujours, qu’elle aimerait longtemps le prince ; mais, en homme dompté par sa propre volonté non moins que par les circonstances extérieures, j’en étais venu à ne plus même attendre son amour. Je souhaitais seulement son amitié ; je désirais obtenir cette confiance, cette estime que les gens expérimentés ont l’habitude de considérer comme le support le plus assuré du bonheur domestique… Malheureusement je ne tenais pas compte d’un fait assez grave, – la haine que Lise m’avait vouée depuis le jour du duel. Je m’en aperçus trop tard. J’avais recommencé à fréquenter la maison des Ojoguine comme par le passé. Cyril Matvéitch était celui qui me caressait le plus, j’ai même des raisons de croire qu’il m’aurait donné sa fille avec plaisir, quoique je ne fusse pas un gendre des plus enviables. L’opinion publique s’acharnait contre Lise et contre lui, et me portait au contraire aux nues. Lise ne changeait pas d’attitude à mon égard : elle se taisait la plupart du temps, obéissant