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à se marier ; là-dessus il s’était levé, avait salué et avait disparu.

J’allai le lendemain chez Ojoguine. Le laquais à demi aveugle s’élança de son banc à mon apparition avec la rapidité de l’éclair. Je lui dis de m’annoncer. Il obéit précipitamment et revint aussitôt. « Veuillez vous donner la peine d’entrer », me dit-il. J’entrai dans le cabinet de Cyril Matvéitch… À demain.

30 mars. – Gelée.

J’étais donc entré dans le cabinet de Cyril Matvéitch. Je donnerais une forte somme à celui qui me montrerait aujourd’hui mon propre visage au moment où ce notable employé croisa vivement les pans de sa robe de chambre persane, et s’approcha de moi en me tendant les bras. Tout mon être respirait sans doute un triomphe modeste, une sympathie indulgente, une générosité infinie… Je me comparais intérieurement à Scipion l’Africain. Ojoguine était visiblement troublé et chagrin, il fuyait mon regard, et sans cesse remuait ses pieds. Je remarquai qu’il parlait plus haut que cela ne lui était naturel, et qu’il employait en général des expressions indécises. Il m’avait demandé pardon en termes fort vagues, mais chaleureux ; il avait fait vaguement allusion à son hôte absent en ajoutant quelques observations incohérentes sur les déceptions et les vicissitudes des félicités humaines ; puis, sentant tout à coup qu’il lui était venu une larme à l’œil, il