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proposition formelle à Cyril Matvéitch. Je n’attendais plus moi-même que ce dernier coup pour m’éloigner à jamais.

Le séjour d’O… m’était devenu insupportable. Il m’était impossible de rester à la maison ; je parcourais les environs du matin au soir. Un jour que par un temps gris et humide je revenais d’une promenade qu’avait interrompue la pluie, n’ayant rencontré que des corbeaux maussades, marchant silencieusement dans la boue, il m’arriva d’entrer dans une église. On venait de commencer le service du soir ; les fidèles étaient peu nombreux. Je jetai les yeux autour de moi, et je distinguai tout à coup près d’une fenêtre un profil qui me frappa. Je ne le reconnus pas d’abord : un visage pâle, un regard éteint, des joues creuses, non, ce ne pouvait être là cette Lise que j’avais vue deux semaines auparavant. Enveloppée dans son manteau, son chapeau sur la tête, elle était éclairée de côté par un froid rayon qui pénétrait à travers la large fenêtre et fixait un regard immobile sur l’iconostase.[1] Elle paraissait faire des efforts pour prier et sortir d’un triste engourdissement.

Un robuste petit cosaque, qui avait des joues rouges et de petites poches jaunes sur la poitrine, se tenait à côté d’elle, les mains croisées derrière le dos, considérant sa maîtresse d’un air d’étonnement endormi. Je poussai un cri involontaire et voulus m’approcher

  1. Paroi couverte d’images qui sépare le sanctuaire de l’église.