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de loin. Dans le magasin, elle s’était montrée très préoccupée, mais gaie… Elle fit une commande de chapeau et rassortit des rubans d’un air affairé. Sa mère la suivait des yeux, levant le nez en l’air et souriant de ce sourire insignifiant et dévoué qui n’est permis qu’à une mère aimante. Dans la voiture et en compagnie du prince, Lise était… Je n’oublierai jamais cette rencontre ! Les vieux Ojoguine étaient assis dans le fond, le prince et Lise occupaient la banquette du devant. Elle était plus pâle qu’à l’ordinaire ; c’est à peine si ses deux raies roses se voyaient sur ses joues. Elle se tournait à demi vers le prince et le regardait en plein visage avec ses yeux expressifs, en s’appuyant sur sa main droite un peu tendue en avant (la gauche tenait son ombrelle) et en penchant langoureusement sa petite tête. En ce moment, elle s’abandonnait entièrement à lui, elle se confiait irrévocablement, tous ses désirs étaient comblés. Je ne réussis pas à bien observer sa figure, – la voiture passa trop rapidement, – mais il me semblait qu’il était, lui aussi, profondément ému.

La troisième fois que je la vis, ce fut, je l’ai dit, à l’église. Dix jours s’étaient à peine écoulés depuis que je l’avais rencontrée en voiture avec le prince, trois semaines depuis le jour de mon duel. L’affaire qui avait amené le prince à O… était terminée ; mais il continuait à remettre son départ en faisant croire à Saint-Pétersbourg qu’il était malade. Toute la ville d’O… s’attendait journellement à lui voir faire une