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Je ne sais à quel propos il me gratifiait de ce mot-là.

Je renonce décidément à raconter mes angoisses pendant la soirée qui suivit le duel. Mon amour-propre souffrait affreusement. Ce n’est pas ma conscience qui me faisait des reproches ; le sentiment de ma sottise m’anéantissait. « C’est moi-même qui me suis porté le dernier coup ! » m’écriai-je en faisant de grands pas dans la chambre. Le prince blessé par moi et m’accordant son pardon !… Oui, Lise est maintenant à lui ; rien ne peut plus la sauver, la retenir au bord de l’abîme.

Je savais fort bien, quoi qu’en eût dit le prince, que notre duel ne pouvait pas rester secret ; dans aucun cas il ne pouvait rester secret pour Lise. « Le prince n’est pas assez sot, murmurai-je avec fureur, pour n’en pas tirer avantage… » Je me trompais pourtant. Dès le lendemain, toute la ville connaissait le secret du duel et savait ce qui l’avait amené ; mais ce n’est pas le prince qui avait été indiscret, bien au contraire. Lise était déjà au courant de tout lorsqu’il apparut devant elle la tête bandée et muni d’un prétexte qu’il avait inventé d’avance… Je ne saurais dire si c’est Besmionkof qui me livra, ou si la nouvelle lui en était parvenue par d’autres voies. Et de fait, y a-t-il possibilité de cacher quoi que ce soit dans une petite ville ? On peut se figurer l’accueil que lui fit Lise, l’accueil que lui fit toute la famille Ojoguine ! Quant à moi, je me trouvai subitement l’objet de l’aversion et de l’indignation générales ; on me traita de jaloux, d’insensé