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Le prince s’inclina légèrement.

– Je ne puis vous empêcher de me trouver insipide, continua-t-il en ouvrant les yeux d’une façon hautaine, mais les princes N… ne sauraient être des parvenus. Au revoir, monsieur… monsieur Chtoukatourine.

Il me tourna le dos et se rapprocha du maître de la maison.

M. Chtoukatourine !… Je m’appelle Tchoulkatourine… Je ne trouvai rien à répondre à cette dernière offense et me contentai de le suivre des yeux d’un air furieux. « À demain ! » murmurai-je les dents serrées, et je me mis aussitôt à la recherche d’un officier de ma connaissance, le capitaine de hulans Koloberdaef, viveur désespéré et excellent garçon, auquel je racontai en peu de mots ma dispute avec le prince, en le priant de me servir de témoin. Il y consentit tout de suite, et je m’en retournai chez moi.

Je ne dormis pas de la nuit ; mais c’était l’agitation et non la peur qui troublait mon sommeil. Je ne suis pas lâche. Je ne songeais même pas que j’allais m’exposer à perdre la vie, ce plus grand bien de la terre, à ce qu’assurent les Allemands. Je ne pensais qu’à Lise, à mes espérances déçues, à ce qu’il me restait à faire. Je me demandais si je devais chercher à tuer le prince, non pour me venger certes, mais pour sauver Lise. « Elle ne survivra pas à ce coup, me disais-je ;