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étonnement sans doute, – à loucher si singulièrement qu’on aurait dit qu’elle remarquait pour la première fois qu’elle avait un nez au milieu du visage, tandis que mon voisin, un de ces lions dont j’ai déjà parlé, me toisa avec l’expression d’un acteur en scène qui s’éveille dans des parages inconnus.

Tout en bavardant, je continuais à observer le prince et Lise. On venait constamment les inviter ; cependant je souffrais moins quand ils dansaient tous les deux. Ma douleur était même supportable quand ils étaient assis à côté l’un de l’autre, et qu’ils dansaient en se souriant de ce sourire qui est comme gravé sur le visage de tous les amants heureux ; mais lorsque Lise voltigeait par la salle avec quelque petit-maître et que le prince tenait son écharpe de gaze bleue sur les genoux, lorsqu’il semblait jouir de son triomphe et la suivre des yeux d’un air pensif, oh ! alors je ressentais un tourment intolérable, et mon dépit m’arrachait des remarques si méchantes que les prunelles de ma compagne se rapprochaient complètement des deux côtés de son nez. Pourtant la mazurka tirait à sa fin… On commença une nouvelle figure nommée la confidente. Une dame s’assied au milieu du cercle, se choisit une confidente et lui glisse à l’oreille le nom de celui avec lequel elle désire danser. Son cavalier lui amène les danseurs un à un, et la confidente les congédie jusqu’à ce qu’on tombe enfin sur l’heureux mortel désigné d’avance. Lise était placée au milieu du cercle et avait choisi pour confidente la fille de la maison,