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côté de la chambre. Inutile de dire que je m’étais persuadé que je n’agissais que d’après les vues les plus désintéressées en prenant cette résolution, que je croyais remplir le devoir d’un ami de la maison ; mais j’ose affirmer que lors même que Cyril Matvéitch n’eût pas interrompu mes épanchements, je n’aurais pas eu le courage de terminer mon monologue. Je me mettais parfois à peser les mérites du prince avec la gravité d’un sage de l’antiquité ; parfois je cherchais une consolation dans l’espoir, et me disais que tout cela n’avait rien de sérieux, que Lise reviendrait à elle, que son amour n’était pas l’amour véritable… Je ne sais vraiment quelle est la pensée après laquelle je n’essayai pas de courir alors. J’avoue franchement qu’il y avait une solution, une seule, qui ne me vînt jamais en tête : je ne songeai pas une seule fois à m’ôter la vie. Je ne saurais dire pourquoi cette pensée ne se présenta jamais à mon esprit… Peut-être pressentais-je déjà qu’il ne me restait après tout que peu de temps à vivre.

On comprend que ma position devenait de plus en plus embarrassée. La vieille Ojoguine elle-même, cette créature obtuse, commençait à me fuir et ne savait par quel bout me prendre. Besmionkof, toujours poli et serviable, m’évitait aussi ; il me semblait que nous étions confrères, et que lui aussi aimait Lise. Seulement il ne relevait jamais mes allusions et ne causait pas volontiers avec moi. Le prince lui témoignait beaucoup d’amitié, il l’estimait sans doute. Nous n’empêchions