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proprette et soignée, il frappa deux fois de ses doigts écartés la manche de son habit, secoua son collet et continua sa marche. Arrivé dans sa chambre, il endossa une vieille houppelande du matin, et s’assit au piano avec un visage soucieux.


III


La maison de Daria Michaëlowna Lassounska passait, à peu près, pour la première de tout le gouvernement de ***. Très-vaste et construite en pierre, d’après les dessins de Rastrelli, dans le goût du siècle passé, elle s’élevait majestueusement sur le sommet d’une colline au pied de laquelle coulait une des principales rivières de la Russie du centre. Daria Michaëlowna était une grande dame riche et veuve d’un conseiller intime. Konstantin disait qu’elle connaissait toute l’Europe, et que toute l’Europe la connaissait. — Pourtant l’Europe la connaissait peu, et à Pétersbourg même elle ne jouait qu’un rôle très-secondaire ; mais, en revanche, tout le monde à Moscou la connaissait et allait chez elle. Elle appartenait à la haute société et passait pour une femme un peu singulière, d’une bonté douteuse, mais douée de beaucoup d’esprit. Elle avait été très-jolie dans sa jeunesse. Les poëtes alors lui écrivaient des vers ; les jeunes gens étaient amoureux d’elle et des hommes considérables lui faisaient la cour. Mais vingt-cinq ou trente années s’étaient