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à ce qui doit arriver dans l’ordre naturel des choses. Je me mis à bouder et à prendre l’air d’un homme offensé, mais généreux. Je voulais punir Lise en lui témoignant mon déplaisir, ce qui prouve du reste que je n’avais pas encore perdu tout espoir. On dit qu’il peut être quelquefois utile de tourmenter l’être adoré, quand on est véritablement aimé soi-même ; mais c’était une sottise inouïe dans ma position. Lise ne faisait nulle attention à moi. Seule la vieille Ojoguine fut frappée de mon silence solennel, et s’informa de ma santé d’un air inquiet. Je lui répondis naturellement, mais avec un sourire amer, qu’elle était, Dieu merci ! parfaitement bonne.

Ojoguine continuait à s’étendre en mille détails au sujet de son hôte ; mais, voyant que je lui répondais de mauvaise grâce, il s’adressa à Besmionkof, qui l’écoutait avec la plus grande attention, lorsqu’un domestique entra pour annoncer le prince N… Le maître de la maison se leva précipitamment pour aller à sa rencontre. Lise, sur laquelle j’avais aussitôt fixé un regard d’aigle, rougit de plaisir et fit un mouvement sur sa chaise. Le prince entra parfumé, gai, caressant…

Comme je ne compose pas mon récit pour le soumettre à un lecteur bienveillant, mais que j’écris simplement pour mon propre plaisir, je puis me dispenser d’avoir recours aux manèges ordinaires de messieurs les romanciers, et dire tout de suite, sans de plus longs détours, que du premier jour Lise s’était éprise du prince, et que le prince était devenu amoureux