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à un timide et obscur habitant de la province. « Ce prince, me disais-je, est un des beaux de la capitale ; il va nous regarder du haut de sa grandeur… » Je ne l’avais guère vu plus d’une minute, mais j’avais déjà remarqué qu’il était joli garçon, adroit et bien tourné. Après avoir fait quelques tours dans la salle, je m’étais enfin arrêté devant un miroir ; je tirai un petit peigne de ma poche pour donner à ma chevelure un air de négligence pittoresque, et, comme cela arrive parfois, je m’étais subitement plongé dans la contemplation de mon propre visage. Je me souviens que mon attention s’était péniblement concentrée sur mon nez, dont les contours mous et incertains ne me plaisaient guère, lorsque je vis tout à coup une porte s’ouvrir dans la profondeur de la glace penchée, qui reflétait presque toute la chambre, et se montrer la svelte figure de Lise. Je ne sais pourquoi je restai immobile. Lise avança la tête, me regarda attentivement, se mordit les lèvres, et, en retenant son haleine comme quelqu’un qui se flatte de n’avoir pas été aperçu, elle recula avec précaution et tira doucement la porte sur elle. Les gonds firent un léger bruit… Je ne bougeai pas. Elle tira le bouton de la porte et disparut. Il n’y avait plus aucun doute possible. L’expression du visage de Lise, cette expression dans laquelle on ne lisait que le désir d’échapper à une rencontre désagréable, la passagère lueur de plaisir que j’avais eu le temps de saisir dans son regard quand elle crut avoir réellement réussi à disparaître sans être remarquée,