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réelle ? Le mensonge est tout aussi vivace que la vérité ; peut-être l’est-il plus encore. Je me souviens en effet que pendant cette semaine même mon ver rongeur, le doute, se remua plus d’une fois dans mon cœur… Mais les hommes solitaires de notre espèce ne sont pas plus en état de comprendre ce qui se passe en eux que ce qui s’accomplit sous leurs yeux. Et l’amour serait-il par hasard un sentiment naturel ? Est-il dans la nature de l’homme d’aimer ? L’amour est une maladie, et les maladies ne sont soumises à aucune règle. J’admets que mon cœur se soit parfois serré d’une manière désagréable ; mais c’est que tout était sens dessus dessous en moi. Comment donc reconnaître ce qui est vrai ou faux, et quelle raison, quelle signification donner à chaque sensation séparée ? Quoi qu’il en soit, tous ces malentendus, tous ces pressentiments et toutes ces espérances furent bientôt dissipés.

Un jour, – c’était le matin, il pouvait être midi, – je venais d’entrer dans l’antichambre d’Ojoguine, lorsque j’entendis une voix inconnue et sonore qui retentissait dans le salon. La porte s’ouvrit, et sur le seuil apparut, en compagnie du maître de la maison, un jeune homme d’environ vingt-cinq ans, grand et bien fait ; il s’enveloppa rapidement dans un manteau militaire qu’il avait laissé sur un banc, prit affectueusement congé de Cyril Matvéitch, passa devant moi en portant négligemment la main à sa casquette, et disparut en faisant résonner ses éperons.

– Qui est-ce donc ? demandai-je à Ojoguine.