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superbe au milieu d’un nuage incandescent. Une moitié du ciel était embrasée ; des rayons empourprés tombaient obliquement sur les prairies, jetaient un reflet vermeil jusque sur la partie des ravins déjà couverte d’ombre, s’étendaient en jets de plomb fondu sur la petite rivière aux endroits où elle ne se cachait pas sous les arbrisseaux penchés sur ses rives, et allaient donner d’aplomb sur le flanc de l’escarpement et sur le rideau serré du bois. Nous restions immobiles, enveloppés d’une lueur ardente. Je ne suis pas en état de rendre toute la solennité passionnée de ce tableau. On dit que pour un aveugle la couleur rouge correspond au son des trompettes. Je ne saurais dire à quel point la comparaison est exacte ; mais il y avait réellement quelque chose d’impérieusement éclatant, comme un appel suprême, dans ce torrent d’or flamboyant, dans ce vaste embrasement du ciel et de la terre. Je jetai un cri d’enthousiasme et me tournai aussitôt vers Lise. Elle tenait les yeux fixés droit sur le soleil. Je me rappelle qu’il se reflétait dans ses yeux en petits points lumineux. Elle était touchée et profondément émue. Elle ne répondit pas à mon exclamation, mais resta longtemps immobile, la tête baissée… Je lui tendis la main ; elle se détourna et se mit tout à coup à pleurer. Je la regardais avec une incertitude secrète et presque joyeuse… La voix de Besmionkof retentit à deux pas de nous. Lise essuya rapidement ses larmes et me regarda avec un sourire indécis. Mme Ojoguine sortit