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dans ces soi-disant jardins publics ; une vieille femme vient de temps en temps s’asseoir en gémissant sur un banc de gazon bien rôti au soleil, près duquel s’élève un chétif arbuste. Si pourtant il se trouve aux environs de la ville un maigre petit bois de bouleaux, les marchands et quelquefois les employés aiment à s’y transporter les dimanches et les jours de fête ; ils emportent avec eux des samovars, des gâteaux et des melons d’eau, et, après avoir étalé toutes ces friandises sur l’herbe poussiéreuse qui borde la grande route, ils s’assoient tout à l’entour, boivent et mangent jusqu’au soir à la sueur de leurs fronts. Il existait justement un petit bois semblable à deux verstes de la ville d’O… Nous y allâmes un peu après le dîner. Besmionkof offrit son bras à la vieille Ojoguine, je donnai le mien à Lise. Le jour était déjà sur son déclin. C’était le temps de la première ferveur de mon amour (nous nous connaissions à peine depuis quinze jours). Je me trouvais dans cet état d’adoration passionnée et attentive où toute notre âme suit innocemment et involontairement les moindres mouvements de l’être aimé, où nous ne pouvons nous rassasier de sa présence, ni assez entendre sa voix, où nous regardons autour de nous et sourions comme un enfant en convalescence, où tout homme quelque peu expérimenté doit reconnaître à cent pas et à première vue ce qui se passe en nous. Il ne m’était pas arrivé jusqu’à ce jour de donner le bras à Lise. Nous marchions côte à côte, foulant doucement l’herbe