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il est gentil ! Voyez, il n’a pas peur. » J’étais surpris de n’avoir pas peur moi-même. « Approchez-vous ; il s’appelle Popka. » Je m’approchai et me penchai sur la cage. « Il est gentil, n’est-ce pas ? » Elle se tourna vers moi ; nous étions si près l’un de l’autre qu’elle fut obligée de renverser un peu la tête pour me regarder avec ses yeux brillants. Je la contemplai : tout son jeune visage vermeil s’illumina d’un sourire si affectueux que je souris à mon tour et faillis même rire de plaisir. La porte s’ouvrit, M. Ojoguine entra. Je me mis aussitôt à causer très librement avec lui, et je ne sais comment cela se fit, je restai à dîner et passai toute la soirée chez eux. Le lendemain le laquais d’Ojoguine, pauvre diable efflanqué et presque aveugle, me souriait déjà comme à un ami de la maison en me débarrassant de mon manteau.

Trouver un refuge, se faire un nid même temporaire, connaître le charme tranquille des habitudes et des rapports journaliers, c’était un bonheur que moi, homme de trop et sans souvenirs de famille, je n’avais jamais éprouvé jusqu’alors. S’il était possible que quelque chose en moi pût faire songer à une fleur, et si cette comparaison n’était déjà si usée, je pourrais me résoudre à dire que de ce jour mon âme s’épanouit. Un changement instantané sembla se faire en moi et autour de moi : toute ma vie fut illuminée par l’amour, oui, ma vie entière, jusqu’aux moindres détails, ainsi qu’une chambre sombre et abandonnée dans laquelle aurait subitement pénétré