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de me trouver en leur présence, je me mettais à froncer le sourcil et à prendre un air farouche, ou bien je bégayais niaisement et tournais avec embarras ma langue dans ma bouche. Ce fut le contraire qui eut lieu avec Élisabeth Cyrillovna ; je me sentis à mon aise dès la première fois. Voici comment la chose m’arriva. J’allai un jour chez Ojoguine avant l’heure du dîner, et demandai s’il était chez lui. « Il y est, me répondit-on : mais il s’habille. Veuillez passer dans le salon. » J’y entrai en regardant autour de moi ; j’aperçus près de la fenêtre une jeune fille en robe blanche qui me tournait le dos. Elle tenait une cage dans ses mains. Je me sentis troublé comme à l’ordinaire ; je me remis cependant et toussai pour avoir une contenance. La jeune fille se retourna si vivement que ses boucles de cheveux lui frappèrent le visage ; elle m’aperçut, s’inclina et me montra en souriant une petite boîte à moitié remplie de graines de chènevis. « Vous permettez ? » me dit-elle. Moi, tout naturellement et comme cela se fait en pareille occurrence, j’inclinai d’abord la tête, puis je souris, levai la main en l’air et l’agitai deux fois avec grâce. La jeune fille se détourna aussitôt, enleva la petite planchette de la cage, se mit à la gratter fortement avec un couteau, et sans changer de place elle prononça les paroles suivantes : « C’est le bouvreuil de papa… Aimez-vous les bouvreuils ? – Je préfère les serins, répondis-je non sans un certain effort. – Ah ! moi aussi, j’aime les serins, mais regardez donc comme