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23 mars.

L’hiver est revenu. La neige tombe à flocons… « Superflu… De trop… » C’est une excellente expression que j’ai trouvée là. Plus je pénètre dans les profondeurs de mon être, plus je regarde attentivement dans ma vie passée, et plus je suis convaincu de la sévère justesse de cette expression. Superflu !… c’est bien cela. Ce mot ne s’applique pas aux autres… Les hommes sont ou méchants, ou bons, ou intelligents, ou stupides, ou agréables, ou désagréables ; mais superflus… non. C’est-à-dire, comprenez-moi bien, le monde peut se passer de ces gens-là !… certainement ; mais la superfluité n’est pas leur signe distinctif, et, en parlant d’eux, ce n’est pas le mot « superflu » qui vous vient tout d’abord sur les lèvres. Quant à moi, … c’est tout ce qu’on peut dire : « superflu, ou être surnuméraire », voilà tout. Il est évident que la nature ne comptait pas sur mon apparition, aussi m’a-t-elle traité en visiteur importun et non invité. Ce n’est pas en vain qu’un plaisant, grand amateur de cartes, a dit, à propos de moi, que ma mère a fait une remise, comme au boston, en me mettant au monde. À l’heure qu’il est, je parle de moi avec calme et sans aucun fiel… C’est une affaire finie ! Pendant tout le cours de mon existence, j’ai trouvé ma place prise, peut-être parce que je ne la cherchais pas là où elle devait être. J’ai été susceptible, timide et irritable comme tous les